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Histoire de la culture du lin dans le Pays de Landerneau

Champ lin.jpg
Il aura fallu trois ans à l'équipe de l'Association DOURDON (visiter leur site) pour dépouiller les inventaires après décès du XVIIIe siècle des 22 communes du Pays de Landerneau-Daoulas, source importante et riche de données. Trois ans pour tenter de retracer l'histoire de plusieurs siècles, du fil et de la toile qui ont fait partie du quotidien de nos ancêtres. La culture, les outils, les hommes ainsi que la richesse générée par cette activité dans nos communes du XVIe au XVIIIe siècles font partie de notre histoire. La première étape a été de retracer le long voyage des graines, de la Baltique au port de Roscoff.

Les maisons buandières ou -kanndi- que nous avons découverts dans nos campagnes vont nous servir de support pour la transmettre à nos jeunes. Notre propos est de tenter comprendre tout ce travail autour du lin, avec les métiers, les hommes et les femmes, mais aussi le commerce, la vie autour du port, et aussi de voir ce qu'est le lin aujourd'hui.

La culture du lin et toutes les activités qui en dépendaient ont généré dans nos communes, du XVIe au XVIIIe siècles une richesse qui a permis la construction des enclos paroissiaux, à nos artistes de produire orfèvrerie et autres.


Le long voyage des graines de lin des pays baltes à Roscoff

La graine de lin dégénère vite, il n'est pas possible de la ré-utiliser plus de deux ou trois fois après récolte. Pour assurer la qualité de la fibre et par conséquent celle du fil et de la toile, il faut importer de la semence fraîche des pays baltes spécialistes de cette production.

Les différents actes établis justifient ainsi le contrôle de la qualité « de la dite graine laquelle étant très utile et nécessaire pour le bien public et intérêt tant des habitants de l'évêché de Léon que celui de Tréguier qui viennent ordinairement acheter de la graine de lin au dit port de Roscoff d'utant quil et du lin le plus grand et le plus considérable commerce qui se fait dans ce pays aussy bien que celuy de fil et de toile et que si la dite graine n'était pas bonne elle causerait la ruine totale de tous les habitants du pays ».

Ce contrôle se fait en « suivant l'ancienne usage pratiquée de tous temps immémoriale au dit port de Roscoff ». Deux experts vérifient que la graine est de « dernière récolte bonne et loyale marchande non viciée ni mélangée », dans ces conditions elle peut être mise en vente, quelques bourgeois et marchands, commissionnaires de la graine, se partagent son importation.

Nous n'avons que fort peu d'informations sur les filières de distribution. Nicolas Louis Podeur est marchand de graines de lin, rue de la Fontaine Blanche à Landerneau, à Plouédern Hervé Ravalec est mentionné en tant que marchand de graines de lin.

La graine est expédiée par quatre ports de la mer Baltique : Libau (aujourd'hui Liépaja), Windau (Ventspils), Riga et Memel (Klaipéda) mais elle provient principalement du premier cité.

Les dates portées par les « consuls et prêteurs » des ports de départ sur les connaissements - reçus des marchandises expédiées par voie maritime - qui certifient l'origine et la qualité des graines, indiquent que les départs se font en général entre la mi-octobre et fin décembre, il faut éviter que la navigation soit gênée par les glaces de la Baltique. Les bateaux cités ont pour noms « Pélican », « Corlier », « Concorde », « l'Amitié et des Armes du comptoir de Bergn », « Femme Christine », « Licorne », « Tonneau d'Or », « Ruche d'Abeilles », « l'Arche de Noë »...

La durée du voyage, avec les escales, est de l'ordre de trois mois si l'on considère que les dates portées sur le connaissement et l'acte de contrôle sont effectivement celles de l'appareillage et de l'accostage à Roscoff. La navigation à cette époque est, plus qu'aujourd'hui, fortement tributaire des conditions météorologiques. L'absence de vent favorable retarde l'appareillage. Les tempêtes obligent à trouver un abri et font courir le risque de naufrage car la navigation se fait en longeant les côtes.

Il n'y a pas de navires roscovites : au milieu du XVIIème siècle les négociants bretons ont laissé ce transport aux Allemands ou aux Danois en raison des tensions internationales.

La graine est transportée dans des barils en bois qui sont marqués à feu (au fer rouge) ou à l'encre, couronnés ou non.

Un navire transporte de 1 500 à 2 000 barils. Chacun d'eux contient une masse de 160 livres de graines soit environ 80 kilogrammes..

En 1775, quatorze navires débarquent à Roscoff 17 095 barils soit quelques 1368 tonnes de graine, c'est le nombre maximum relevé dans les liasses consultées.

On observe que la quantité de graines importées tend à augmenter jusqu'en 1775 puis, passé ce maximum décroît mais tend à rester stable ensuite.

Les différentes étapes de la graine à la toile

Les graines de lin sont semées à la St Georges (23 avril)
Graines lin.jpg

Le proverbe dit aussi qu'il est en bouton le 11 juin

Le fleurissement intervient 100 jours plus tard

La récolte se fait par arrachage manuel

Après avoir séché, le lin est mis en bottes, stocké en meules

Ensuite intervient l'égrenage, à l'aide d'un peigne (de fer) à égrener (égruger ou dréger) les capsules

Le rouissage est pratiqué dans des trous d'eau poul lin (les plus fréquents sur le Pays, trous d'eau) ou routoirs (bassins entourés de pierre bleue) dans de l'eau stagnante. Les fibres sont immergées dans l'eau pendant environ deux semaines, la fermentation étant surveillée de près afin qu'elle ne dégénère pas en pourrissement. Le but est d'éliminer l'écorce ligneuse, de dissoudre la pectine qui relie les fibres. Cette opération se fait de préférence en été afin que l'eau soit à température plus élevée.

L'étape suivante est le teillage qui comprend le broyage et le pilage : les fibres sont séparées les une des autres, elles sont broyées à l'aide de brayes, après avoir été séchées puis pilées, on est alors en présence de filasse.

La filasse est alors passée sur le banc à pesseler, ou pesselle, lame sur laquelle la filasse est frottée puis elle est peignée, à l'aide d'un peigne à peigner le lin.

Le résidu obtenu s'appelle l'étoupe, qui est utilisée de différentes manières (pour faire du fil et de la toile de reparon, pour faire des cordages').

On arrive alors au filage, qui est du rôle des fileuses ou filandières. La filasse au sortir du rouet devient fil et est enroulée sur le dévidoir pour en faire des écheveaux.

Ce sont ces écheveaux de fil qui vont être blanchis, (il n'est pas question ici de travailler du fil « gris ») dans les Kanndis. Un kanndi ou maison buandière est une petite construction en pierre locale caractérisée par : - une cheminée ou un « fourneau », - une cuve en pierre surmontée d'un anneau pour en augmenter la capacité ou en bois scellée sur une pierre, - un bassin où circule l'eau courante, entouré de pierres de schiste. Les écheveaux sont placés dans la cuve, on y ajoute un pochon avec de la cendre de hêtre aux propriétés saponifiantes), et on verse sur le tout de l'eau bouillante. Le fil est ensuite rincé dans le bassin et étendu sur le pré. L'opération est renouvelée plusieurs fois suivant le degré de blanchiment que l'on veut obtenir.

Le fil est alors prêt à être tissé. Il est placé sur l'ourdissoir pour préparer des longueurs de fil identiques qui vont constituer la chaîne. Il est ensuite enroulé sur une ensouple, et passé dans les œillets des lames du métier à tisser pour séparer la chaîne en deux nappes. La navette avec ses bobines (les cannelles que l'on trouve souvent dans des paniers de clisse) de fil de trame est lancée à la main.

Un peigne à égrener ou Bresse Une Braye Un pesselle Un peigne

Le kanndi et le blanchiment du fil de lin

Le Kanndi

Le kanndi, désigné par le terme de maison buandière ou plus rarement par buanderie, est l'élément essentiel dans le blanchiment du fil de lin. En Bretagne, contrairement à d'autres régions textiles, c'est le fil qui est blanchi et non la toile.

Le kanndi tire son nom de kanna : blanchir, laver et de di déformation de ti : maison. Son orthographe est très fluctuante dans l'état des sections ou la matrice du cadastre napoléonien établi dans les années 1820-1840. L'étude des plans cadastraux et des noms des parcelles permet de retrouver l'emplacement d'un kanndi aujourd'hui disparu. La nécessité d'avoir un ruisseau pour alimenter le kanndi en eau courante explique qu'il est souvent à l'écart du village.

Un kanndi se présente sous la forme d'une petite bâtisse, couverte de gled (chaume) ou plus rarement d'ardoises, construite avec les matériaux trouvés sur place : schiste, moellons, avec une cheminée en pignon.

Une porte ouverte dans l'un des murs permet d'y pénétrer, en face il peut y avoir une petite fenêtre. Une cheminée en pignon sert à chauffer de l'eau dans un gros chaudron. Contre l'autre pignon, un bassin ou douet constitué de dalles de schistes (« Men glas » traduit dans les inventaires par pierres vertes) est alimenté par un ruisseau qui le traverse de part en part. Deux ou trois dalles, plus étroites, sont disposées en travers et au-dessus du bassin pour y poser les écheveaux de fil afin de les faire égoutter. On trouve une cuve, parfois deux, à proximité de la cheminée. Elle peut être en granit, dans ce cas elle est en deux morceaux : la partie inférieure, la cuve proprement dite, percée à sa base d'un trou de vidange, est surmontée d'un anneau. L'ensemble a un peu plus de 1,30m de diamètre extérieur et 1,10m intérieur et environ 1,60m de haut. L'étanchéité est assurée par un joint de chaux.

Les cuves en bois sont en général en sapin, entourées d'un ou deux cercles de fer et scellées sur un dalle de schiste circulaire qui présente un bourrelet périphérique. Dans certains kanndi, on note la présence d'une couchette avec sa couette de balle : un domestique y passe la nuit, peut-être armé d'un fusil, pour surveiller le contenu de la cuve lorsqu'elle est pleine de fil car les vols sont fréquents.

Le blanchiment

Le fil à blanchir dans une cuve a une valeur importante. La valeur du contenu d'une cuve est fonction du nombre de buées (lessives) que le fil a subi. Lors du blanchiment la masse du fil diminue, la lessive l'use et il devient plus fin. La diminution de la masse est fonction du nombre de buées subies, elle peut être évaluée à environ 25%.

La masse de fil cru dans ses tonneaux est de l'ordre de 1 000 à 1 200 livres (de 490 à 590 kg), pour une valeur de 25 sols la livre (487 grammes). Après le blanchiment les tonneaux contiennent de 460 à 800 livres de fil blanc, estimé quelque 50 sols la livre. Chaque buée apporte une plus value au fil car plus le fil a de buées plus il est blanc.

Pour blanchir le fil, on utilise de la cendre de bois ou charrée. Elle a des propriétés saponifiantes analogues à celles du savon. Stockée à proximité du kanndi, elle vaut aux alentours de 5 livres la barrique.

Les écheveaux de fil à traiter sont mis dans la cuve, avec, au-dessus, la cendre de bois tamisée placée dans des sacs. Lorsque la cuve est ainsi préparée, on verse de l'eau chaude. L'eau est soutirée par la bonde inférieure, réchauffée puis reversée par dessus. Au bout de 24 heures, la cuve est vidangée, les écheveaux retirés, rincés dans le douet puis mis à sécher sur une corde, dans le courtil à fil, le liorz neud. Le blanchiment se poursuit sur le pré. Le fil reste sur le pré, sur des cordes, une quinzaine de jours. Pendant ce laps de temps il est retourné et secoué fréquemment. Le cycle blanchiment-rinçage-séchage est répété jusqu'à ce que le fil ait atteint le degré de blancheur souhaitée en fonction de son utilisation.
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La valeur du fil peut attirer des convoitises, pour cette raison la présence d'une logette avec une couchette dans le courtil à fil est fréquente, comme dans le kanndi, une personne peut assurer une surveillance nocturne. Il y a dans les procès plusieurs affaires liées au vol de fil blanc.

Aujourd'hui, les "kanndi" sont le plus souvent enfouis sous un amas de végétation exubérante due à la présence d'eau, au fond des vallées, au milieu des prairies, sous le couvert des arbres, difficilement accessibles. Il en reste peu de nos jours, dans un état de ruines le plus souvent avancé. Leurs cuves de pierre, malgré leur masse ont été déplacées, trouvant place ici ou là dans les jardins.

Il n'est pas de règle concernant les "kanndi". Carrés, rectangulaires, petits ou grands, avec bassin central ou le long d'un pignon, avec ou sans cheminée, avec deux cheminées, avec une cheminée à double linteau, avec cuve en bois ou en granit, on les devine ou on les imagine encore aujourd'hui dans leurs années fastes, les cuves remplies de fil.

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